jeudi 3 octobre 2013

Faire de la pauvreté un business


Mon premier billet parlait de Nelson Mandela et de l’apartheid. Cette semaine encore, je vous amène en Afrique du Sud…
C’était un jour de pluie. Nous sommes partis tôt le matin pour visiter Langa. Ce township est le plus vieux de Cape Town. Il est un de ces endroits qui, avant l’apartheid, avaient été désignés pour les Africains noirs seulement.
C’est un peu honteux de visiter un township, mais je crois que sa population se prête bien au jeu et qu’elle, j’espère, tire un maigre avantage de ces tours guidés…
Le tour a commencé avec l’arrivée des guides à l’hôtel, blousons Nike et Colombia flambants neufs sur le dos. Ils disent vivre à Langa (j’apprendrai plus tard qu’à Langa, il y a de très pauvres gens, mais aussi des riches). Le township semble, dès les premiers tournants du minibus, commandité par Coca Cola.
Avec la pluie qui battait toujours plus fort et les rues qui s’inondaient tranquillement, il y avait une ambiance dramatique. J’étais gelée et j’avais les pieds mouillés, pauvre de moi… On pouvait à peine circuler à pied à travers le township. On sautait d’une roche à l’autre. La veille, les gens versaient des chaudières d’eau sur les toits des maisonnettes pour vérifier qu’il n’y avait pas de fuite… Pour les habitants, c’est le quotidien.

À mesure que la pluie tombait, les rues s’inondaient… Les voitures qui circulaient envoyaient des vagues aux quelques passants qui courraient d’une cabane à l’autre. Les vêtements pendus aux cordes à linge dégoutaient… C’était le week-end, et dans plusieurs maisons, la musique résonnait, c’était la fête. Une scène troublante.
On imagine facilement le désordre des townships. J’étais loin de me douter de toute l’organisation en place et de toute la dignité qui y règne. Des toilettes communes aux petits commerces improvisés, des cuisines plein-air aux shebeens, les 50 000 habitants s’organisent et s’entraident. Ne vous étonnez pas, 50 000 habitants c’est très peu; d’autres townships habitent plus de 2 millions d’habitants…
On peut maintenant circuler dans Langa. Le guide a parlé de cette liberté de mouvement qui voit le jour en Afrique du Sud. « C’est, dit-il, le début de la démocratie ».
Si je suis toujours sceptique quant au réinvestissement des 350 rands que j’ai payé pour cette visite, je n’ai pas de doute sur la beauté, la sincérité et la joie de vivre des enfants qui font partie du Happy feet youth project. Ce projet de développement visant à occuper les jeunes après l’école pour les tenir hors de la rue par des cours de danse m’a touché au plus profond. Les écoles primaires des ghettos ne sont pas assez développées pour permettre aux enfants d’avoir accès à l’éducation supérieure et le taux de chômage du pays frôle le 33%… Difficile d’être en contrôle de sa vie…
Je me demande si nous vivons, nous, jeunes de l’Amérique, jeunes de la technologie, dans la grosse « ouate ». Est-ce éthique d’acheter des marques dispendieuses, de jeter de la nourriture, de surchauffer les demeures pour ensuite les refroidir à l’air conditionné…? Bien sûr que non, alors pourquoi le fait-on ? Est-ce parce que nous sommes si loin de la misère et de la pauvreté que nous l'oublions? Je pense que reconnaître qu’il y a de la pauvreté et de la souffrance dans le monde ne suffit pas à changer les habitudes et les comportements. Et puis, au fond, c’est quoi être pauvre ? Ces enfants du Happy feet youth project semblaient remplis de joie de vivre. Moi et vous, qui nous en faisons pour l’argent, qui sommes stressés, qui passons dans la vie sans la vivre, sommes-nous riches ? Partageons-nous ? Allons-nous vers l’autre ? Sommes-nous riches de cœur ?

Je me demande aussi ce qui pousse certaines personnes à donner de leur temps. Est-ce pour se sentir mieux en eux-mêmes, ou pour aider son prochain ? Par exemple, les guides de Langa agissent-ils réellement dans l’intérêt de la population du township ou pour s’enrichir ? Aussi, respectent-ils les habitants du township ? Ont-ils consulté la population avant d’organiser ces « tours » de la pauvreté et de la misère ? Font-ils de la pression sur certaines organisations, sur certaines personnes âgées ou sur certains jeunes pour qu’ils « donnent le spectacle » lors des visites ? Paient-ils suffisamment leurs partenaires ? Suis-je trop septique? 

Je crois que j’aurais dû demander aux guides où allait cet argent que je leur donnais exactement. J’aurais du leur demander si de réelles retombées de ces tours se faisaient sentir dans le township… Vouloir aider son prochain, parfois, c’est plus difficile qu’on le pense…  

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