On ne rit plus en Égypte

Une démocratie, ça enferme en prison les humoristes qui dérangent ? Ça les poursuit en justice ? Dites-moi donc pourquoi l’Égypte a fait arrêter Bassem Youssef, populaire humoriste à la télévision égyptienne, créateur et animateur d’une émission satirique portant sur le monde politique. Révoltant, c’est le mot.

Le crime de Youssef ? Des sketchs et monologues se moquant du président égyptien Mohammed Morsi, des frères musulmans (le parti au pouvoir), mais aussi de l’opposition, de l’armée. D’un peu tout le monde quoi. Imaginez Rock et belles oreilles en direct du Caire. Son émission est parmi les plus écoutées, il est une figure connue et pourtant, on l’arrête pour l'interroger et le menacer de poursuites criminelles. On l’a depuis relâché sous caution (à la fin mars), mais il plane toujours au-dessus de sa tête de possibles accusations d’insulte au leader du pays et à l’islam.

Après un printemps de révoltes populaires et de supposé passage à un système démocratique, on ne peut pas dire que le pays est un exemple de modernité avec ces dernières frasques. Je ne vois pas comment on peut se targuer de vouloir redevenir le pays libre de tous les Égyptiens avec de pareils agissements.

Avant d’être un humoriste, Bassem Youssef est un communicateur, une personnalité médiatique. En toute franchise, je crois qu’un système démocratique commence par l’accord de donner une vraie liberté de presse et d’expression aux médias du pays. De leur donner l’indépendance et la marge de manoeuvre qu’ils ont besoin. Ce n’est visiblement pas le cas en Égypte. Pouvons-nous alors vraiment parler de démocratie ? Surement pas.

Je peux me faire l’avocat du diable et mettre de l’avant que Youssef n’y allait pas avec le dos de la cuillère pour un pays fraichement sorti de crise. Toutefois, il y a une marge à l’accuser criminellement. Des dires officiels, l’Égypte n’est pas une dictature, que l’on cesse alors d’agir comme tel.

Youssef se moque de tout le monde, ce n’est pas dirigé vers une seule personne. C’est le concept d’une émission d’humour satirique. Si on avait fait enfermer tous les humoristes qui se sont payé la tête de George W. Bush pendant son règne aux États-Unis, il n’y aurait plus grand monde aujourd’hui pour animer les talk-shows américains.

Je trouve triste de voir qu’une révolte populaire aboutisse en une aussi molle liberté d’expression. Cela dit, l’époque de nos jours est à la répression médiatique dans plusieurs pays en développement. Il n’y a qu’à voir ce que font les Russes de leurs journalistes indépendants d’enquête... Rien de bien encourageant.