lundi 18 mars 2013

Découvrir que son père est un nazi

Critique d'un nouveau film dans lequel une adolescente allemande découvre en 1945 que son père, loin d'être un héros, était un nazi.

Lore, le personnage-titre admirablement interprété par Saskia Rosendhal, est la fille d’un haut dirigeant nazi. Nous sommes à l’été 1945, l’Allemagne a perdu la guerre, les Alliés vont quadriller le pays. Sur ordre de sa mère, la fille de 15 ans part se réfugier chez sa grand-mère, emmenant avec elle ses jeunes frères et soeurs. Au fil du voyage à pied de plusieurs jours à travers la campagne peuplée de fantômes, de nazis entêtés et de juifs errants, l’adolescente sera amenée à prendre conscience, d’une part de ce qui s’est passé, d’autre part du rôle qu’a joué son père dans cette guerre atroce qui vient de prendre fin.

« J’étais terrifiée à l’idée de faire ce film parce que je ne voulais pas que les spectateurs pensent que j’érige les Allemands en victimes, me confie la cinéaste. La souffrance endurée par les enfants dans le film n’est rien comparée à celle des victimes de l’Holocauste. Ce qui importe ici, c’est le cheminement psychologique de Lore, marqué par les étapes de ce voyage. C’est le coeur de l’histoire : comment se réveiller un matin et penser que son père est un héros de guerre pour découvrir ensuite qu’il est un animal et un meurtrier des masses. Ça me fascine de voir comment ces individus à qui c’est arrivé ont pu se définir comme Allemands après coup. »

La rencontre de Lore avec un garçon à l’avant-bras tatoué (Kai Malina, vu dans Le ruban blanc), qui fera un bout de chemin avec elle et ses proches, ajoute une part d’ombre à l’intrigue subliminale de ce film en apesanteur, écartelé entre la beauté lumineuse du paysage pastoral et l’horreur de ce que celui-ci continue de dissimuler. Qui est-il exactement ? Un survivant des camps ? Un imposteur ? Les recherches de la cinéaste lui ont fourni plus de questions que de réponses. « Après la guerre, beaucoup d’individus se sont fait passer pour juifs, de façon à éviter l’opprobre. L’Allemagne était un lieu si étrange. La bigamie était un des crimes les plus communs. Les identités se sont embrouillées, se sont transformées, et ce personnage est le produit de cela », dit-elle. Un produit du mystère, un avant-goût de l’amnésie collective dont la petite Lore, innocente mais en plein réveil, passe de symptôme à remède.

Cate Shortland affirme avoir beaucoup appris, sur son pays d’origine, sur celui qu’elle habite, en réalisant ce film qui, avec une élégance un rien brutale, invite l’Allemagne à retrouver la mémoire. « L’Australie ne met pas du tout en question son passé. C’est un grand trou noir où tout paraît beau en surface, mais qui cache beaucoup de douleur et de colère. Aussi parfois de la haine, dirigée contre les aborigènes, parce que nous n’avons jamais fait face honnêtement à cette partie de notre histoire. Pour moi, Lore est porteuse d’un sens en Australie, comme je crois qu’elle l’est aussi pour le Canada, où la situation [vis-à-vis des peuples autochtones] a aussi été balayée sous le tapis. »

Aucun commentaire: